Entretien avec : Laurence CHESNEAU-DUPIN, Catherine DUFFAULT, Jean-Yves HUGONIOT.
(Les conservateurs des musŽes de Cognac, Saintes et Rochefort sur mer)

Vous avez choisi de sous-titrer ce livre qui prŽsente une vue dĠensemble de votre travail depuis une quinzaine dĠannŽes : LĠexercice des choses : que souhaitez-vous faire entendre derrire cette expression poŽtique certes,
mais un peu sibylline ?

JĠai choisi LĠexercice des choses mais cela aurait pu sĠappeler aussi LĠexercice du monde. Dans les deux cas jĠai en effet pensŽ ˆ Albert RENGER-PATZSCH, le photographe allemand de la Nouvelle ObjectivitŽ dont le cŽlbre ouvrage publiŽ en 1928 sĠappelle die Welt ist schšn - le monde est beau. LĠhistoire raconte aussi que le premier titre envisagŽ par lĠauteur Žtait die Dinge - Les choses mais que lĠŽditeur aurait refusŽ pour des raisons commerciales. die Dinge cĠest joli ˆ lĠoreille, non ? Et puis cĠest un mot tellement ouvert.
Dans LĠexercice des choses il y a aussi lĠidŽe dĠexpŽrimentation, donc dĠhumilitŽ. JĠaime bien ces deux notions. Les nombreux voyages que jĠai pu faire depuis trente ou quarante ans mĠont appris la valeur relative des choses. Deux anecdotes me viennent ˆ lĠesprit. Toutes les deux parlent de notre rapport au temps : la premire, cĠŽtait sur lĠatoll dĠOuvŽa, dans lĠOcŽan Pacifique. Je parlais avec un prtre qui me racontait son rŽcent voyage en mŽtropole. AccompagnŽ dĠamis, il sĠŽtait ainsi un jour trouvŽ dans le rush du mŽtro parisien, ˆ une heure de pointe. Abasourdis devant tant se prŽcipitation et de vaine agitation leur seule rŽaction fut alors de prendre place sur un banc et de rire aux Žclats, une demi-heure durant.
Une autre fois, cĠŽtait en Malaisie. JĠattendais avec des amis un train qui ne venait pas. Nous Žtions lˆ depuis des heures. Comme rien ne se passait lĠidŽe me vint alors dĠaller au guichet et de demander, en bon europŽen que je suis, quand partirait le train. LĠair interloquŽ, le prŽposŽ me regarda droit dans les yeux et me rŽpondit avec nonchalance : aujourdĠhui Monsieur. RŽponse somme toute logique et de bon sens dans les circonstances et le contexte culturel du lieu. La leon fut propice. DŽsormais je savais que la valeur des choses supposait une dŽfinition prŽalable dĠun certains nombre dĠŽlŽments. VŽritŽ en deˆ, erreur au-delˆ (PensŽes III, 8) disait dŽjˆ Blaise PASCAL en son temps.

- Et vous ? O se trouve lĠen deˆ et lĠau-delˆ de votre travail ?

Voyager mĠa fait comprendre en quoi je suis europŽen. AujourdĠhui je peux trs prŽcisŽment vous dire pourquoi je le suis. Il ne fut gure difficile en effet de me rendre compte, sur le sol amŽricain, que mon rapport ˆ lĠespace et ˆ lĠhistoire Žtait diffŽrent. Selon moi habiter lĠEurope prŽsuppose lĠidŽe de sŽdimentation, de stratification. On pourrait avoir la mme attitude dans un vieux pays comme la Chine. AujourdĠhui je crois que pour avancer il faut comprendre ce qui nous construit dans lĠhistoire du monde, tant du c™tŽ privŽ que du c™tŽ public. QuĠest que lĠon fait de tout a ? La question est complexe je ne vous le cache pas.
LĠhistorien Marc BLOCH avait coutume de dire quelque chose comme: vivre suppose quĠon ne puisse faire fi de sa propre histoire, au risque de reproduire les mmes erreurs. Je sais bien que lĠactualitŽ nous prouve tous les jours le contraire mais je crois que cette idŽe reste forte. DĠo mon intŽrt pour ce qui nous prŽcde, pour les couches. Mon travail est un carottage dans lĠŽpaisseur du monde. CĠest la raison pour laquelle je me dis souvent un peu journaliste, un peu historien, un peu gŽographe, un peu sociologueÉtoute une liste de mŽtiers que jĠexerce en amateur. Et puis la frŽquentation dĠarchŽologues mĠa appris quĠil faut toujours dŽtruire la premire couche pour accŽder ˆ la suivante. Cela veut dire que lorsque lĠon sĠest trompŽ lors de la premire analyse il est impossible de revenir en arrire. La comprŽhension de lĠensemble suppose dĠavoir toujours su et pu produire les justes articulations sŽmantiques tout au long de processus trs complexes. Et bien notre rapport au monde est de la mme veine.

- Pour vous le r™le de lĠartiste est donc de rŽvŽler cette complexitŽ ?

Oui, en quelque sorte. Il faut envisager mon travail comme une tentative de faire du sens.

- Mais plus que dans la recherche de rŽponses, vous semblez tre dans le questionnement ?

Evidemment je nĠai pas de rŽponse, il nĠy a que les hommes politiques qui en ont. Si jĠavais des certitudes je ne continuerai pas ˆ essayer dĠatteindre cet horizon qui se dŽrobe constamment ˆ moi. Je revendique cet Žtat dĠesprit. Ma dŽmarche sĠinscrit donc dans le champ de lĠexpŽrimentation ; et mme au-delˆ, puisque mĠintŽressent aussi largement les multiples faons de formuler les questions.
JĠai besoin dĠtre sur le fil du rasoir, de me mettre en danger. Combien de fois suis-je arrivŽ dans des lieux inconnus sans information prŽalable. Les dates de lĠexposition Žtant dŽjˆ fixŽes, le challenge fut ˆ chaque fois de construire, en un jour ou deux, quelque chose sĠapparentant ˆ un scŽnario ˆ partir duquel je pourrais extraire la substantifique moelle de ce nouveau territoire de pensŽe ? Cette mise en danger je l'ai souvent en tte ; cĠest dans un film ou sur des photos, je ne sais plus trs bien, que lĠon voit MATISSE vieillissant peindre sur les vožtes de la Chapelle de Vence ˆ lĠaide dĠun b‰ton auquel est attachŽ son pinceau. Le b‰ton devient la prolongation de son geste et de cette incertitude na”t paradoxalement la juste distance.

- Ce que vous recherchez ce sont donc vos propres limites ?

Je dirais les limites des choses, ce qui mĠŽchappe, lĠentre-deux. JĠaime beaucoup par exemple les repentirs en peinture. Il y a lˆ quelque chose de trs fort, de brut qui vient des profondeurs, quelque chose qui sĠest imposŽ ˆ vous mais que la raison ultŽrieurement souvent rŽfute.
JĠaime bien cette idŽe de frontire, lˆ o a glisse vers autre chose. Je crois que lĠon ne peut jamais dŽfinitivement dire : cĠest a ou a. Un peu comme dans certaines images dĠESCHER ou dans les fractales de MENDELBROT qui sĠouvrent soudain sur autre chose dans un Žternel recommencement. On peut, on doit mme parfois par obligation, dŽcider. Mais en mme temps moi je sais bien que ma rŽponse, ˆ lĠinstant formulŽe, ne peut tre que relative puisque tout bouge, que ce soit le regardŽ ou le regardant. Il y a toujours une part dĠincertitude.
Sur ce mme principe et avec la mme angoisse de lĠerreur, mon travail sĠingŽnie donc ˆ relier, ˆ rassembler sur le terrain de lĠŽpars, des ŽlŽments a priori sans aucune relation. Et si je sais que cela ne peut-tre envisagŽ que comme une proposition jĠessaye quand mme de renouveler aux yeux des gens qui sont sur place des liens auxquels ils ne prtent pas ou plus gure attention. Pour paraphraser Paul KLEE je tente de rendre visible lĠinvisible ou, dit autrement, je tente de renouveler le visible et donner sens ˆ lĠinvisible.

- Ce r™le est liŽ ˆ votre propre culture ? Quelle est-elle ?

JĠai toujours eu un profond intŽrt pour la cartographie et plus particulirement pour la toponymie. JĠai mme voulu un temps en faire mon mŽtier. JĠaime la faon dont certains noms rŽvlent les lieux, en parlent ; cet intŽrt remonte ˆ mon enfance – on prend toujours appui sur son enfance – ds que jĠai pu lire sur le cadastre de mon pre des noms tels que Mouchelune, Gure il ment, Ecoute sĠil pleut. CĠest extraordinaire, non ? Ou bien encore Dine-loup, le nom dĠune pice de terre ˆ propos de laquelle mon arrire grand-mre, presque centenaire, me racontait quĠon lui avait elle-mme racontŽ dans son enfance quĠun jour le loup avait mangŽ la brebis ˆ cet endroit-lˆ.

- La nature sĠest donc imposŽe naturellement comme thme de travail ?

Oui, sans heurt ; je crois que je ne me suis dĠailleurs jamais rŽellement posŽ la question. JĠinterviens sur elle mais ce nĠest en fait quĠun prŽtexte : ce qui mĠintŽresse cĠest essentiellement le rapport ˆ lĠhomme. Michel GUÉRIN parle chez moi de lĠarbre comme mŽtaphore humaine.
CĠest peut-tre aussi cette impossibilitŽ que jĠai longtemps eue de photographier les gens qui mĠa amenŽ ˆ faire ce dŽtour par la nature. Je suis nŽ dans une ferme, dĠun pre agronome et dĠune mre qui connaissait les plantes aussi bien que lui ; je veux parler de leur noms, de leurs usages. JĠai un peu grandi les pieds dans le dictionnaire. JĠai donc tout naturellement pris appui sur tout cela. A lĠ‰ge adulte jĠai fait les Beaux Arts et refusŽ de prendre la suite dĠune grosse entreprise Žminemment prospre alors que jĠŽtais le seul hŽritier, pour me prŽcipiter dans un monde dont je ne connaissais absolument rien.
Mais nĠŽtait-ce pas lˆ faire la mme chose ? Transgression / transmission : on nĠŽchappe pas ˆ sa propre histoire.

- Votre rapport ˆ la nature, ˆ lĠenvironnement, construit depuis lĠenfance, quel est-il aujourdĠhui ? Dans le livre dĠAlain CORBIN ( LĠhomme dans le paysage, Žditions Textuel, 2001 ) il est dit que lĠapprŽciation de lĠespace ne se construit pas indŽpendamment des faons de le parcourir. La saisie sensorielle rŽsulte de la vitesse des dŽplacements, É On ne voit pas le mme paysage lorsquĠon circule ˆ pied, en voiture ou en avionÉ

Je suis Žvidemment dĠaccord avec a. En tant que professeur dĠhistoire de la photographie jĠai ŽtŽ trs marquŽ par les images des photographes amŽricains qui, lors de la construction de la voie ferrŽe transcontinentale, ont relatŽ la dŽcouverte des espaces vierges de lĠOuest : cĠest en se dŽplaant ˆ pied, en carriole ou juchŽs sur lĠun des wagons de la ligne en construction que Timothy OĠSULLIVAN, Carleton WATKINS, William Henry JACKSON et quelques autres ont dŽcouvert ces espaces. AujourdĠhui nous en avons une approche rŽellement diffŽrente puisque nous les visitons (les traversons) en voiture, quand ce nĠest pas en avion. La relation physique ˆ ces lieux a donc disparu. Blaise CENDRARS raconte dans son roman LĠOr, publiŽ dans les annŽes trente, lĠhistoire de John Sutter propriŽtaire de la Californie ! ! !
Il y est aussi question de la faon dont on accordait de la terre ˆ tout citoyen blanc en droit de devenir propriŽtaire. On le soumettait ˆ lĠŽpreuve des heures carrŽes. Il devait circonscrire un carrŽ de territoire en le parcourant ˆ pied en un temps donnŽ ; cela supposait donc du postulant une parfaite connaissance de ses capacitŽs physiques et mentales, voire dĠtre en mesure de juguler ses trop grandes ambitions. Arriver avec quelques minutes de retard lĠempchait ˆ tout jamais dĠtre propriŽtaire. Cette anecdote mĠa profondŽment marquŽ.
Dans tous mes travaux produits au Canada je me suis ainsi volontairement placŽ aux limites de ma force physique, une expŽrience que jĠai ultŽrieurement relatŽe en apposant sur mes images un code-barre, sorte de signature anonyme et paramŽtrŽe - La Rivire Noire 170BO10035EPI350108H1990 - taille, essences des bois, longueur maximale des morceaux utilisŽs, poids maximal soulevŽ, date de rŽalisation, tout y est ; jusquĠˆ la rŽfŽrence aux 8 heures de travail dĠun ouvrier.

- CĠest un travail non seulement ˆ Žchelle humaine mais sur lĠŽchelle humaine, nĠest-ce pas ?

Oui sur la confrontation entre lĠhomme et son Žchelle, sur lĠŽchelle des valeurs, sur la vanitŽ parfois de lĠaction civilisatrice de lĠhomme (voir Le haut du Fleuve, Canada, 2000) , la poŽsie des lieux. Pour revenir ˆ lĠidŽe de dŽplacement jĠai pour habitude de dire par exemple que la poŽsie, cĠest la mme chose mais autrement.

- Dans la mesure o nous sommes toujours en dŽplacement et dans ces dŽplacements de valeur , parlez-nous de votre difficultŽ ˆ trouver le bon point de vue.

La difficultŽ de mon travail consiste en effet ˆ formuler la juste distance La photographie est un mŽdium qui suppose des choix continuels : champ / hors champ, juste dosage de la lumire (mais que signifie le juste dosage ? Ce nĠest pas le photographe SUJIMOTO qui me dŽmentira), vitesse de prise de vue, profondeur de champÉ des choix multiples qui dŽterminent ou non la reconnaissance du sujet photographiŽ.
En consŽquence il faut parler de complexitŽ, un ingrŽdient de notre Žpoque. Quand on a pris lĠhabitude de se dŽplacer, quand on frŽquente des gens de culture diffŽrente, de langue diffŽrenteÉon mesure la relativitŽ des choses. Plus personne, mme dans les sciences exactes, nĠose plus parler de valeur absolue. Comme disait EISNSTEIN, la vŽritŽ en science ne dure que vingt ans. Avant toute affirmation il faut dŽfinir ce fameux modus operandi. Et lˆ comment ne pourrions-nous pas rendre un large hommage ˆ Pierre BOURDIEU trop t™t disparu. A lui seul il nous a ouvert de vŽritables boulevards.

- Comment est nŽe lĠidŽe du projet en bordure de Charente ? Nous vous avons proposŽ de rŽflŽchir ˆ un travail autour du fleuve, cette Charente qui unit nos trois villes. Nous avions envie de savoir comment un artiste contemporain voyait ces paysages si souvent reprŽsentŽs depuis le XIXme sicle, comment il pouvait aujourdĠhui sĠen emparerÉVous nous avez immŽdiatement entra”nŽs vers COURBET. Pourquoi ?

Je ne sais pas qui a entra”nŽ lĠautreÉComme dans tout projet jĠai dĠabord ŽcoutŽ les gens. Gustave COURBET est un peintre que je respecte beaucoup, au travail parfois quasi photographique. Il opre une fracture dans lĠhistoire de lĠart, il rompt avec la peinture de bataille, la peinture historique ou la peinture mythologique pour parler de lĠordinaire, du quotidien. MANET va peindre une botte dĠasperges, COURBET, ds 1849, un enterrement ˆ la campagne. Quel scandale ! CĠest cette relation au vulgaire, le commun des hommes au sens latin du terme que jĠaime. Plus question de gens cŽlbres, de nymphes ou de diables mais de gens de peu selon la belle formule de Pierre SANSOT. En faisant poser les habitants dĠOrnans, COURBET parle de notre condition. Chacun peut reconna”tre son voisin. Et que lĠon le veuille ou non il est utile de rappeler que la grande majoritŽ de la population vient de lˆ. Certains ont tendance ˆ l'oublier.

-  Ce que vous aimez chez COURBET, cĠest que a sent les pieds ? Et pourtant chez toi ce nĠest pas le cas.

CĠest vrai et ce nĠest pas vrai. Si lĠutilisation de lĠoutil photographique oblige la distance, lˆ o cela ne sent plus, jĠai quand mme presque toujours travaillŽ sur des lieux sans importance, jamais nommŽs parce que peut-tre pas nommables, des lieux de peu dont personne ne sĠoccupe. Et croyez-moi, ceux-lˆ, ils ne sont pas aseptisŽs. 
Chez COURBET cĠest aussi le caractre scandaleux du personnage, son c™tŽ provocateur qui ne sont pas pour me dŽplaire. JĠai toujours eu envie de brouiller les pistes. On nĠa jamais su o me classer : photographe, sculpteur, sculpteur pour la photographie, photographe utilisant son laboratoire pour y remodeler la lumire comme il le ferait de la terre, jĠaime cet espace incertain. Je refuse les rgles Žtablies, lĠorthodoxie ; mais jĠen connais aussi le prix.
Et puis COURBET avait aussi une relation trs forte ˆ la matire de la peinture ; la mme quĠil avait avec la nature, avec tout dĠailleurs, avec la vie quoi. Il a mme ŽtŽ un grand chasseur ce qui supposait chez lui une grande connaissance du monde animal (je ne le suis pas pour ma part et ce serait peut-tre lˆ mon seul point de dŽsaccord. Je lui pardonne pourtant car cĠŽtait dans un contexte culturel tellement diffŽrent). CĠest de cette confrontation ˆ la matire, quĠelle soit picturale ou vŽgŽtale, au sein de la fort dont je me sens proche. Si lĠacte photographique pourrait tre qualifiŽ de conceptuel, puisquĠil faut toujours imaginer ce qui se passe sans pouvoir le vŽrifier dans lĠinstant (cĠest ultŽrieurement que le photographe verra ce que ses multiples choix ont engendrŽ sur lĠimage) la sculpture engendre une relation forte ˆ la matire, vŽrifiable, elle, dans lĠinstant. Je parle parfois de combat car les matŽriaux je jĠutilise vont rarement dans le sens quĠon avait imaginŽ. Il y a toujours ces rŽsistances qui entra”nent lĠartiste ailleurs, crŽant ces entre-deux que jĠaime tant.
Et puis chez COURBET jĠaime les cadrages. Certains sont somptueux. Je tiens certainement cette fascination de ma longue pratique du dessin. Dans le projet de Port-Berteau, non loin du site o il a travaillŽ avec COROT et AUGUIN, je vais installer une longue succession de portes de voiture, les unes derrire les autres, dans les deux sens de la marche et placŽes ˆ des hauteurs diffŽrentes. Elles Žvoqueront le voyage tel que nous le pratiquons aujourdĠhui, bien loin de la faon dont COURBET se dŽplaait pour se rendre sur son site (La Rencontre ou Bonjour Monsieur COURBET, 1854). Ces portires Žtant elles - mmes des cadres, un certain nombre dĠŽlŽments du paysage vont donc y entrer, dĠautres en constituer le hors-champ. Bien que montŽes ou descendues ˆ des hauteurs diffŽrentes, ˆ lĠintŽrieur des portes, les vitres devront constituer une ligne parfaite venant se confondre avec celle de la rive dĠen face. JĠapposerai sur le verre des couleurs transparentes trs fines rappelant la couleur du fleuve ˆ un certain moment de la journŽe.
Un panoramique photographique en couleur de plusieurs images bord ˆ bord viendra enfin recomposer ce grand vitrail, cadrages dans les cadrages, mon souhait le plus cher Žtant que ces Žcrans de couleur, oubliant la ligne de partage, viennent ˆ se confondre avec la rŽalitŽ colorŽe du fleuve lui-mme. Je sais que le spectateur devra attendre, longtemps peut-tre, ˆ lĠŽcoute du lent changement de la lumire.

- Vous revenez donc ˆ la couleur ?

En effet je lĠai abandonnŽe au profit du noir et blanc pendant une bonne quinzaine dĠannŽes. Comment ne pas tre frustrŽ de ne voir ses images que sous forme de bandes de lecture, dans les laboratoires industriels parisiens ? Et en plus, sans pouvoir gŽrer quoi que ce soit. DĠo ma dŽcision en 1987 de ne plus faire que du noir et blanc. Remodeler en sculpteur de lumire les promesses de mes nŽgatifs me semblait en effet fondamental. AujourdĠhui jĠadapte ma rŽponse au contenu de ma commande. Noir et blanc ou couleur, cĠest dŽsormais selon.

Mais dans le cas de La Grande Porte celle-ci sĠimposait. Tous ces peintres sont quand mme venus cŽlŽbrer la merveilleuse lumire de la rŽgion. Pourquoi pas moi ? Si on a coutume de parler des ciels de lĠIle de RŽ ou de ceux de la C™te, cĠest que la Saintonge nĠest ni le pays de lĠombre ni le pays de la lumire crue du sud. Tout ici est dans la nuance. A lĠinstar de son territoire, le Charentais est quelquĠun qui mŽrite dĠtre connu, mais il faut du temps, il faut de la lenteur pour lĠapprŽhender. JĠaimerais bien que cette nouvelle sculpture parle de cela, de ce temps ˆ attendre le temps, avant que nĠarrive le juste Žclairage. La Charente est dĠailleurs comme cela. Elle serpente et Žpouse les prŽs de ses rondeurs. Elle ne descend que de cinq mtres de Saintes ˆ lĠembouchure, quarante kilomtres plus loin. CĠest ce qui le rend magnifique ; alors pourquoi voulez-vous que je parle dĠautre chose ?

- Vous faites beaucoup de croquis prŽparatoires. Quelle est la place du dessin dans votre travail ?

Trs importante mais jĠen parle malheureusement trop peu ; alors que cĠest la pratique que jĠaime le plus. Le dessin cĠest le moment du tout possible, du tout pensable, un moment de grande jubilation. Il y a quelques annŽes je proposais ainsi, ˆ c™tŽ de mes photographies noir et blanc de mes sculptures, un dessin prŽparatoire aux mmes dimensions. Espace de lĠimaginaire avant le combat avec les matŽriaux de la sculpture, avec la mŽtŽorologie par dŽfinition incontr™lable, avec le projet mme qui vous Žchappe au fil des jours ce dessein avait surtout pour but de permettre "lĠentre-deux". Je pense en effet, les certitudes nĠŽtant plus dŽsormais permises, ˆ quelques niveaux que ce soit, que la figure du "trait-dĠunion" pourrait bien devenir le signe le plus significatif de notre rapport au monde.

- Comme dans Kaissairiani, sur la quatrime de couverture du livre ?

Par exemple.

 

 

Bel-Air, le 20 fŽvrier 2002.

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