Expositions FRANÇOIS MÉCHAIN à La Rochelle
8 Septembre / 10 décembre 2020

Un hommage sera rendu à François à partir de septembre, avec 4 expositions dans 4 lieux de la ville de La Rochelle, chacune présentant un aspect différent de son travail :


- LA CHAPELLE DES DAMES BLANCHES : les très grands DESS(E)INS des Sculptures-Fictions et quelques autres de formats plus réduits (65 x 50 cm) concernant des projets réalisés ou non.
Photographe et plasticien, il n’a eu de cesse d’établir des liens entre divers moyens d’expression où le dessin tenait une place très importante.
Dans la série des Sculptures-Fictions, FM fait dialoguer de très grandes formes végétales éphémères avec la nature environnante : les bois et les champs aux alentours de l’atelier. Ces volumes géométriques qu’il construit lui-même sont faits des matériaux épars trouvés sur place qu’il agence et assemble : feuilles mortes, troncs, branchages. L’artefact, né de l’esprit humain, s’insère dans le lieu choisi et tous deux entretiennent une conversation qui s’ancre dans notre imaginaire de spectateur.
Entre la forme initialement envisagée par le dessin et celle qui se matérialise dans sa mise en œuvre sur le site, se creuse irrémédiablement un écart fait de la résistance des matériaux trouvés sur place, des conditions météorologiques, de problèmes de construction et d’équilibre... C’est sans doute dans cet entre-deux que se joue le mieux la question de l’artistique. On peut noter qu’un même engagement physique imprègne le dessin très grand format et son pendant, le travail in situ : le corps de l’artiste y est impliqué à chaque fois dans un geste de grande envergure.
La photographie qui en résulte, trace finale du travail présentée, n’est pas la preuve d’une réalité naturelle…
Certains dessins des Sculptures-Fictions, sont présentés ici en duo, accompagnés du tirage argentique qui leur fait écho.
D’autres dessins, diptyques ou non, témoignent de projets de commande tels qu’ils avaient été conçus à l’origine avant leur réalisation in situ.
Dans la chapelle des Dames Blanches figurent aussi d’autres dessins de plus petites dimensions (65 x 50 cm en général). Certains donnent à voir des idées qui ont été réalisées, d’autres non, qui étaient en attente de production quand la maladie a emporté François.

Enfin à l’occasion de son dernier séjour en Chine en 2015, il avait imaginé un grand nombre de projets in situ. Les dess(e)ins avec masques de protection sur les arbres acquièrent aujourd’hui une dimension singulièrement prémonitoire…

- LE CARRÉ AMELOT (galerie photographique): Séquences et Equivalences
Les séries des Équivalences ainsi que celle des Séquences qui les ont précédées sont présentées pour la première fois dans leur ensemble au Carré Amelot en septembre 2020 ; elles ont été réalisées entre 1978 et 1982.
Elles marquent le début d’un parcours artistique singulier qui s’attache ici à la fois à porter un regard poétique sur le monde et à questionner le medium photographique. Elles constituent le prélude d’une aventure plasticienne qui durera plus de 40 ans jusqu’à la disparition de l’artiste en février 2019.
Ces œuvres transposent en quelque sorte le principe du haïku dans le domaine visuel. Elles déclinent un regard sensible porté sur le réel où les images rendent compte d’un imaginaire attentif à ce qui nous entoure au quotidien.

- LE CENTRE INTERMONDES : un choix d’œuvres réalisées à l’étranger et traitant de questions contemporaines regroupés sous le titre In situ ou le souci du monde.
Les quelques œuvres de François MÉCHAIN présentées ici sont issues de commandes réalisées à l’étranger (Canada, Espagne, Italie, Belgique…).
Elles sont caractéristiques de la démarche de l’artiste qui œuvrait d’un lieu à l’autre, d’un espace à l’autre, pratiquant le in situ.
Ces images, parfois de très grand format qui donnent à voir des réalisations plastiques le plus souvent éphémères, nous parlent de questions contemporaines :
Les frontières et les migrations dans Précaires territoires ou D’un côté ou de l’autre ou bien encore dans ¿Que tal ?
Elles témoignent du gâchis et de la surexploitation des forêts avec Le Chemin au Porc-Épic ou avec La Rivière Noire.
Elles nous parlent aussi d’un rapport poétique encore possible à la nature avec Borgo et sa cabane suspendue qui résulte d’un regard porté sur une forme éclatée en anamorphose.
Ces œuvres disent une attention consciente et lucide portée sur des fragments du monde, des parties de territoire où FM était invité pour faire œuvre à partir d’un lieu, d’un site dont il prenait en compte toutes les données le composant : matérielles, géographiques, humaines, politiques…

- LE LYCÉE VALIN (galerie photographique) : À travers la fenêtre (projet/Hommage à COURBET 2002, La ligne de partage).
Le titre de l’exposition, A travers la fenêtre, fait écho au travail emblématique du photographe Nicéphore Nièpce et à cette image primitive fondamentale de l’histoire de ce medium : Le point de vue du Gras. L’idée reprise ici est celle du point de vue, plus particulièrement celle de la question de la vision qu’on peut avoir des choses et du réel à travers une fenêtre. Théorisée par la peinture au moment de la Renaissance, la photographie s’en est emparée à son tour ; elle trouve ici son prolongement avec une réflexion sur notre façon contemporaine de voir le paysage à travers le pare-brise d’une voiture dont cette œuvre de François MÉCHAIN témoigne: La ligne de partage ou  Hommage à Gustave COURBET (projet de 2002). Installation in situ à l’origine, avec des portières de voiture sur les rives du fleuve Charente à Port-Berteau, elle a été pérennisée à travers une série de photographies couleurs qui reprennent la succession des cadrages d’images mis en œuvre sur le site.

La même préoccupation est développée dans deux variantes de séquences photographiques présentées dans la galerie du lycée intitulées Relativité 1 et Relativité 2 dans lesquelles la profondeur de champ est questionnée à son tour.

En parallèle, les élèves du lycée Valin (option arts plastiques) ont été invités à mettre en œuvre à leur tour cette proposition de travail A travers la fenêtre.

 

L’IMAGE MANQUANTE…


A l’occasion de ce regard sur le parcours de l’artiste, deux photographes/plasticiens Laurent MILLET et Pascal MIRANDE que François connaissait très bien et dont il appréciait le travail ont créé une œuvre originale chacun : Le champ du Gras (triptyque photographique) pour le 1er, présentée à la Chapelle et Matérialisation ou surface étalon chère à François dans son rapport à l’espace, la nature et la photographie pour le second, présentée au lycée Valin.

View from the Window at Le Gras, Joseph Nicéphore Niépce.jpg

Le Point de vue du Gras (circa 1827) est reconnu comme étant la première photographie (ou héliographie : littéralement écriture ou dessin par la lumière). Il s’agit donc d’une empreinte lumineuse.

C’est la première image durable réussie et connue de l'histoire de ce nouveau medium dit photomécanique car il s’opposait aux images obtenues jusque-là par la main de l’homme (le dessin par exemple). Elle a été prise par l'inventeur français Nicéphore NIÈPCE (1765-1833) dans sa maison de Saint-Loup-de-Varennes près de Chalon-sur-Saône en Bourgogne. L’appareil photographique (camera obscura) avait été posté à la fenêtre du 1er étage de sa maison et visait un lieu-dit en face appelé Le Gras.

Le cliché qui en résulte est une image unique, non reproductible, obtenu sur une plaque d'étain polie recouverte de bitume de Judée ; il mesure de 16,2 × 20,2 centimètres. Le temps de pose avait sans doute duré une journée entière ce dont témoignent les ombres portées des bâtiments de la cour dans le champ de l’image qui rendent compte de la course du soleil du matin jusqu’au soir.

Cette photographie très connue est conservée au Harry Ransom Center à Austin, Texas, USA.

 

En 1977 François MÉCHAIN et moi acquérons une vieille bâtisse dans la campagne charentaise des environs de Saint-Jean d’Angély. Passionné de cartes et de toponymie, François découvre très rapidement qu’il y a un lieu-dit Le champ du Gras, proche de la maison. Profondément frappé par cette coïncidence, il a tout le temps songé à revisiter cette opportunité à sa façon ; mais la vie a fait que de voyages en déplacements professionnels, il n’a pas réalisé cette image.

A l’occasion de l’hommage qui lui est rendu à La Rochelle en 2020, j’ai alors proposé à Laurent MILLET et Pascal MIRANDE dont François appréciait beaucoup le travail, d’interpréter chacun à leur manière cette image manquante dans son œuvre.

Nicole VITRÉ-MÉCHAIN

 

Le Point de vue du Gras revisité par Laurent MILLET :

L’œuvre de Laurent, Le champ du Gras, est exposée à La Chapelle des Dames Blanches. Il a choisi de traiter de la matérialité de l’image primitive de NIÈPCE dont l’original est d’ailleurs quasiment illisible : grain, flou et zones d’ombre ont un rendu très incertain de la réalité captée. C’est précisément ce qui a retenu l’attention de Laurent qui décline le paysage éponyme à travers une trame de points gris (une forme de grain contemporain de l’image) issus de l’impression par passages successifs des 3 couleurs primaires sur un même support. Le rendu final revisite ici l’histoire de la photographie à travers une interprétation plasticienne. Laurent MILLET a cherché et expérimenté à son tour un procédé mécanique et technique de fabrication de l’image. Le triptyque est quant à lui un clin d’œil à la façon dont François utilisait cette forme pour inscrire son travail dans l’espace.

 


Le Point de vue du Gras revisité par Pascal MIRANDE :

L’œuvre de Pascal, Matérialisation ou Surface étalon chère à François dans son rapport à l’espace, la nature et la photographie est visible à la galerie du Lycée Valin.

Écoutons Pascal : je souhaite dire ici combien François a été important pour moi dans mon parcours d’artiste. J'ai découvert l'ouvrage Paysages de l'improbable en 1992 et ce livre m'a accompagné durant mes études ; quelques années plus tard nous nous sommes rencontrés et avons eu une relation faite d’estime réciproque. En 2006, Patrick DELAT a eu la bonne idée de nous exposer, Laurent MILLET et moi, avec lui à Niort au Centre d’Art Contemporain Photographique (Villa Pérochon).
J’ai choisi de retenir de l’image de NIÈPCE les lignes de force et de construction des bâtiments photographiés qui rythment le cliché. Je les ai reprises et interprétées à travers une structure métallique en deux dimensions d’un mètre carré environ (surface étalon chère à François dans son rapport à l’espace). Plantée dans le sol, elle donne à voir à travers elle, dans le lointain, le Champ du Gras. Elle a été progressivement envahie par une glycine ce dont témoignent les trois photos échelonnées dans le temps. Il s’agit donc d’une oeuvre à la fois pérenne et évolutive in situ : elle restera définitivement plantée dans le sol face au Champ du Gras mais elle évoluera en fonction de la croissance de la plante et des saisons puisque les feuilles de glycine sont caduques. La Vue du Gras, ainsi matérialisée devient le tuteur d’une plante qui fera vivre l’œuvre au cours des saisons, qui s’appropriera cet espace d’un mètre carré, un peu à la façon d’une idée qui germe et se transforme avec ses avancées ou ses impasses Il s’agit finalement d’une sorte de collaboration avec la nature comme dans Le chant des arbres, une de mes pièces préférées de François.

J’ai utilisé des codes plastiques récurrents dans le vocabulaire plastique qui parcourt son œuvre : l’in situ, le triptyque (façon d’inscrire un travail dans un lieu), l’œuvre éphémère pérennisée par le cliché.

 

 

 



Le rendu final revisite ici l’histoire de la photographie à travers une interprétation plasticienne.

Nicole VITRÉ-MÉCHAIN

 


En parallèle, le film du réalisateur Vladimir VATSEV, La ligne d’horizon, portrait d’artiste tourné sur François quelques semaines avant sa disparition, sera présenté au Centre Intermondes le 24 septembre en comité réduit toujours à cause de la pandémie.

suite