Rocky Mountains

Environs du Banff Art Center, Alberta, Canada, 1991

Colette GARRAUD, extrait de L’exercice des choses - The exercice of the things
éditions Somogy, Paris, 2002

(…) Parfois cependant, la confrontation du corps et des grands espaces prend un tour plus dramatique. Installation conçue lors d’une résidence au Banff Art Centre en 1991 et restée à l’état de maquette, Rocky Mountains se compose d’une immense photographie de la forêt canadienne, cadrée de manière à supprimer la ligne d’horizon, sombre pattern continu sur trois panneaux dont les bords incurvés suggèrent lointainement la courbure de la terre. Quatre mètres en dessous de cette arche, devait être posée au sol la photographie de trois constructions semblables à des billes de bois compactes mais constituées de milliers de brindilles, aux mesures de trois figures humaines, l’une allongée les bras le long du corps, l’autre allongée les bras en croix, et la troisième assise. Les sculptures épousent grossièrement la forme des silhouettes à la manière d’un schéma stéréométrique. L’artiste, qui rapporte son désarroi devant le sol jonché à l’infini de troncs gigantesques et indéplaçables, a choisi d’œuvrer avec la plus petite unité végétale qu’ait produit le lieu et de revenir aux mesures de son propre corps. L’inextricable réseau de brindilles lui fut suggéré par la découverte fortuite d’une vue des momies anatomiques de Raimondo de SANGRO, aujourd’hui montrées dans la chapelle de Sanseverro, à Naples : corps véritables traités et desséchés de manière à révéler tout le réseau de circulation du sang. Que l’allusion, fortement organique, mais distanciée, soit ou non perceptible, l’opposition entre les formes éphémères, fragiles et transparentes, discrètement anthropomorphes, et l’écrasante coupole de frondaisons serrées qui les domine, reste éloquente. Le code accompagnant l’image renvoie ici à toutes les caractéristiques personnelles de l’artiste, comme si, face à la violente démesure naturelle, il était urgent, à l’opposé là encore de toute aspiration fusionnelle, de s’assurer de sa propre identité chiffrée (…)