Piège à lumière ou Intrusions blanches

Site de la Rivière du Moulin, Chicoutimi, Québec, Canada, 1995.
Deux photographies noir et blanc sur dibond : 160 x 120 cm chaque.

In situ, sculpture éphémère, bois mort collectés sur le site, papier d’aluminium Alcan et lumière solaire.

(Projet réalisé avec des étudiants d’art visuel de l’Université du Québec à Chicoutimi – UQAC - dans le cadre d’une résidence en tant qu’artiste et professeur invités. Coréalisation Galerie Séquences).

Chicoutimi, un nom indien qui résonne curieusement à une oreille européenne. De l’exotisme en puissance me direz-vous. Et bien non. La ville ressemble à toutes ces villes du monde que la modernité a formaté avec ses avenues bordées de magasins à la devanture interchangeable et ses « zones d’extension marchande » à l’architecture toujours aussi désolante.

Ce ne fut pourtant pas toujours le cas. A l’origine « esho-timiou – jusqu’où c’est profond »  est un lieu où débute le portage et où se rencontrent les indiens montagnais et iroquois. C’est en 1676 qu’a lieu la première intrusion blanche, celle de ces hommes venus d’Europe pour faire le commerce de la pelleterie. La voie d’eau navigable du Saguenay est en effet précieuse pour qui vient du Saint-Laurent par Tadoussac. Ce sont les premiers contacts, on connait la suite. Le pot de terre ne gagne jamais contre le pot de fer. Perte d’identité culturelle locale, introduction de maladies et de l’alcoolisme ….. mais après tout visitez donc le village de Mashteuiash ou Pointe Bleue sur les rives du Lac Saint-Jean. Ce que vous y verrez vous convaincra certainement mieux que tout long discours.

La deuxième intrusion blanche viendra plus tard avec l’ère industrielle dans les années 30. Le complexe Alcoa devenu Alcan puis Rio Tinto implante ses gigantesques usines de traitement de l’aluminium tout près de Chicoutimi , là où peuvent encore remonter les gros bateaux. Et s’il ne vient à personne à l’idée de contester la richesse économique apportée à la région par cette nouvelle manne il faut aussi constater qu’en contrepartie le prix à payer est très lourd. Le fjord est aujourd’hui gravement pollué par les rejets, jusque dans ses eaux les plus profondes ; le smog couvre régulièrement la région et on recense nombre d’ouvriers atteints de cancer. L’humain et son environnement sont de bien peu de poids face aux exigences économiques du monde moderne. Production d’aluminium ou exploitation industrielle de la forêt (voir La Rivière Noire, 1990), au Canada comme ailleurs l’argent continue d’être roi.

La troisième intrusion blanche est heureusement bien plus poétique. C’est celle de l’arrivée de la lumière après l’hiver canadien long et rigoureux, un moment de grâce attendu tous les ans avec la même impatience. Un observateur européen dirait pourtant qu’il n’y a pas de printemps tant on bascule vite de l’hiver …. à l’été. Tout va vite, la lumière explose, la vie reprend ses droits. Comme sous toutes ces latitudes il n’y a plus de temps à perdre après le long endormissement hivernal..

Piège à lumière – Light trap rend hommage à l’image faite par Constantin BRANCUSI de sa sculpture, Mademoiselle Pogany II, 1920, photo de l’artiste. La lumière est tellement concentrée sur le matériau poli qu’elle fait littéralement exploser la forme. Une vraie question sur  la « vérité photographique ».