Lieu d’être

Proposition de projet non réalisé

Je ne suis que la somme des gens que j’ai rencontrés
Patrice CHÉREAU, cinéaste

Dans une société de plus en plus nourrie de préoccupations individualistes et surtout soucieuse de la préservation du pré carré de chacun, vouloir traiter de la question de l’Autre et du bien commun en partant du passé pourrait être tenu pour de la provocation. C’est là que le geste de l’artiste peut aménager les conditions spatiales et redonner vie au dit passé soudain redevenu présent.
Mais qu’on ne s’y méprenne surtout pas. Si telle est ici la question ce n’est en aucun cas avec des relents nostalgiques. Bien au contraire c’est dans le cadre d’un projet fédérateur, citoyen au sens premier du terme dont le but est de proposer du temps de regard et d’écoute à chacun, à vous, à moi mais aussi à ce voisin trop souvent devenu étranger.
Car oui le monde a changé. Nous voilà tous mondialisés. Les liens séculaires ont muté et sont désormais sensés être assurés par l’internet et sa connexion dans le nano-instant. Nous en sommes tous plus ou moins les utilisateurs. Dans cet univers néanmoins  de plus en plus régi par le matérialisme et grandement vidé de son sens je ne suis pas sûr, nombre de philosophes, de sociologues, de politiques l’ont déjà noté avant moi, que la question soit vraiment là. Au-delà de polémiques générationnelles dénuées de sens j’aurais en effet plutôt le sentiment que le monde est surtout en manque de repères.


Aubiet, « trésors » de mémoire(s).


Dans toutes les maisons, que ce soit à Aubiet ou bien ailleurs, chacun garde, répertoriées dans  des albums ou non, le plus souvent en vrac dans des boites dépareillées, ce qu’on appelle d’un terme générique les PHOTOS de FAMILLE. Mémoire du groupe accumulée depuis des décennies autour d’un patronyme, d’un village ou d’un petit coin de campagne partagé avec les siens, ces photographies constituent  un véritable trésor du lignage. Elles gardent la trace de nos origines, de nos rencontres, de nos épousailles et malheureusement aussi celle de nos disparus. Peu de famille pourtant on put un jour partager les photographies des voisins. 
Ce projet se donne pour tâche de faire communier la mémoire des uns avec celle des autres, en d’autres termes de mettre en évidence ce qui nous relie au sein d’un village. Pour la première fois les photos de différentes familles seront exposées (avec tout le respect dû à l’intime) dans un même lieu au regard de tous. Une nouvelle synergie devrait s’en dégager et établir ou rétablir des liens oubliés.


Un lieu de présentation et de partage : description du bâtiment et de ses alentours:


L'extérieur : le lieu est entièrement circulaire, formant une sorte de temple (*) dédié à l’Autre. Il est implanté au centre du jardin public d’Aubiet sur une surface totalement re-enherbée. On y accède par un chemin sinueux à partir du colombier.
Vu de l’extérieur le bâtiment est entièrement cerné d’un mur fait de plaques d’inox miroir bord à bord. Le paysage alentour s’y reflète  avec toutes les aberrations du matériau telles celles de nos mémoires affectives.
Aux quatre points cardinaux en hommage aux jardins médiévaux des cloîtres romans (La Romieu, Moissac tout près…) quatre carrés mémoires plantés de végétaux traditionnels de la région gersoise, ceux qui au fil des ans en ont constitué l’identité et la source de richesse (maïs, vigne, tabac et ail). Outre ceux précités autour du bâtiment quelques autres carrés fait de ces mêmes végétaux animent plus au large l’espace enherbé. Au service principalement du citoyen qui pourra y prélever sa part de récolte, ces petits jardins seront entretenus par les services municipaux ou par quelque habitant du village désireux de s’en charger. 


L'intérieur : un vaste panoramique, sorte de cinémascope fait des reproductions bord à bord des centaines de photos de famille que les habitants du village ancien auront bien voulu me confier et partager avec leurs concitoyens. Des blancs aussi pour ceux qui voudront y associer leurs images du moment. Au centre de l’espace une grande table de bois ronde autour de laquelle sont implantés sept fauteuils pivotants. Le but étant de proposer au visiteur un espace où partager les liens historiques visuels dont il est issu et/ou plus prosaïquement boisson, nourriture, jeux …. en d’autres termes tout ce qui saura réunir.
L’éclairage intérieur se fait à la lumière du jour parvenant d’un occulus placé au centre du plafond. Clin d’œil à l‘histoire de l’architecture ses dimensions sont à l’exacte proportion de celles du mythique Panthéon de Rome.

(*) –Cité par l’historienne de l’art Colette GARRAUD in François MÉCHAIN, regard d’artiste, Château de Trévarez, Les Chemins du Patrimoine en Finistère, éditions Bernard Chauveau, Paris, 2014 (à paraître).