Double négatif

(Parc du Château de Bailleul, Normandie, France, 1995)

Diptyque photographique argentique sur dibond : 350 x 120 m
In situ, sculpture éphémère, platanes et herbes du parc : 1500 x 450 x 510 cm

 Double negative. Tout le monde connaît l’œuvre réalisée par le land-artiste Michael HEIZER en Arizona en 1969-1970. 24000 tonnes de terre déplacées, 457 x 15 x 9 mètres sont les dimensions de cette sculpture cyclopéenne. Une entreprise à la mesure du désert et d’un projet prométhéen.

Dans Double négatif, celui du parc du Château de Bailleul j’entends, telle n’est plus la question. En dépit du clin d’œil amusé à l’un de mes pairs, mon propos se situe bien ailleurs. Invité en effet une deuxième année consécutive par les propriétaires du lieu, mes seules contraintes sont alors de tenter de donner une suite à l’expérience de 1994 et contrairement à HEIZER, de travailler en européen, c’est à dire dans les rapports à l’espace que nous pouvons entretenir avec notre continent, avec sa culture. Je veux parler de l’échelle humaine, celle que l’on trouve, pour des raisons souvent différentes, dans les travaux de Richard LONG, Hamish FULTON, Andy GOLDSWORTHY, David NASH ou quelques autres. Cette question a toujours été l’une de mes principales préoccupations, mes travaux canadiens de 1990 et 1991 en témoignent largement.

Pour l’heure ma sculpture doit, d’une manière ou d’une autre, trouver en ce lieu sa juste place, trouver des dimensions à la mesure de cet espace. Un espace d’autant plus restreint que je ne  peux   guère m’étendre.  Pourquoi alors  ne pas  faire  opérer au  matériau si  terre  à  terre qu’est la pelouse une translation vers le haut, la privant ainsi exceptionnellement de ses racines. La décoller, faire léviter dans l’espace ce matériau lourd et devenu sans consistance, lui conserver une pérennité au moins saisonnière, tel devient alors l’enjeu de mon entreprise. J’arrache, je consolide, je réensemence, j’invente un dispositif d’arrosage intégré pour que cette peau du monde faite soudain sculpture, puisse continuer à croître et braver les lois de la pesanteur.

Et puis il y a toujours le photographique et ses réponses codées. Le matériau argentique qui fera image de la sculpture est aussi conceptuellement retourné à deux reprises : par l’entremise de deux prises de vue soudain inversées et mises en regard et par la production d’un grand tirage négatif qui, comme une question en appelant d’autres, vient renverser les certitudes d’une représentation Noir et Blanc déjà largement décalée. La boucle est bouclée. Triturés, désossés, matériaux et re-présentations se définissent de nouveaux territoires. Ils renouent avec ces idées de retournement et de renversement qui m’ont, des mois durant, occupé l’année précédente. Ils prouvent, une fois n’est pas coutume, que la vérité, fût-elle photographique, est bien souvent sujette à caution.