Aller Simple

Nouveau Jardin Botanique, Bordeaux, France, 2008.
Photographie noir & blanc sur dibond : 200 x 110 cm.

In situ, sculpture éphémère, différents contenants ayant à voir avec l’économie actuelle de Bordeaux
et ses environs enveloppés dans du plastique noir : aux dimensions exactes
d’un conteneur maritime de 40 pieds, 12,19 x 2,44 x 2,59 m.

Notre compréhension de l’art dans son historicité ne peut être envisagée que dans toute sa complexité. Si le musée met l’art au passé, l’artiste entend mettre le passé au présent. La dimension des événements inscrite dans le temps n’est pas une image sitôt effacée, déchue, encore moins une image morte. L’Histoire persiste dans la conscience et l’artiste essaye de nouer son travail à ce qui fût et demeure. Son geste aménage les conditions spatiales d’un passé soudain redevenu présent.

Et si chacun sait que Bordeaux n’est pas totalement représentative de la France, mais c’est alors le cas de toutes les autres grandes capitales régionales, chacune avec ses spécificités, cette ville reste au fil des décennies un creuset, une cité-phare, une figure emblématique de maints grands bouleversements des siècles passés.  

Car il y a l’Histoire, toujours l’Histoire, l’Histoire au cours de laquelle il se passe d’étranges histoires. Ces décennies pendant lesquelles, au nom du profit et parce que le Conseil du  Roi pense qu’il n’est rien qui contribue davantage à l’augmentation des colonies et à la culture des terres que le laborieux travail des nègres*, certains armateurs, financés eux-mêmes par d’autres commerces plus convenus, entreprennent leur florissant commerce triangulaire. Une époque où Bordeaux exporte vins, farines minots, prunes, tabacs et ramène au retour les sucres, cafés, cotons et indigos tant recherchés. Mais où aussi, au passage, les bateaux chargent les nègres des côtes africaines, cette bien belle marchandise qui laisse toujours de bons dividendes et les déposent, après de terribles voyages, dans ces Antilles en quête  de toujours plus de main d’œuvre gratuite pour faire pousser la canne. Une époque où le miracle des Lumières n’a guère encore éclairé le monde et ne pèse pas bien lourd face aux besoins toujours plus grands du commerce international.

Mais là n’est pourtant pas la question, car au-delà de l’histoire bordelaise elle-même, que d’aucuns voudraient encore montrer du doigt – mais alors faudrait-il convoquer Nantes, La Rochelle, Saint-Malo, Le Havre, Honfleur …ou même Liverpool  et qui oserait aujourd’hui se poser en censeur ? – il s’agit bien plus d’examiner notre rapport au monde dans le vaste imbroglio du passé, de nommer une fois pour toute les derniers fantômes dont nous sommes toujours les otages.

Que faisons-nous de tout cela ? C'est pour moi une question récurrente. L’invitation est claire et les réponses bien difficiles. Même aveuglé, sans repère, il est toujours souhaitable de jeter un regard en arrière et d’avoir le courage de mettre l’œil au creux de la serrure ; d’interroger cette fameuse complexité du monde et de tenter de réfléchir à nos destinées dans le grand bric-à-brac de l’Histoire. Et pourquoi  alors ne pas reprendre ensemble les mots du grand historien Marc BLOCH : « on ne peut faire fi de sa propre histoire au risque de reproduire les mêmes erreurs » ?

* Arrêt du Conseil du Roi, 26 août 1670.

François MÉCHAIN, 2008