La chambre d’écoute

(Lycée Pierre-Gilles de Gennes, Digne-les-Bains, France, 2003-2004)
Photographie noir et blanc sur papier argentique baryté : 115 x 115 cm

In situ, sculpture éphémère, feuilles de platane, bouleau blanc et odeurs fortes : 695 x 485 x 280 cm

 Le lycée Pierre-Gilles de Gennes de Digne-les Bains, en Haute Provence : à première vue des bâtiments bien banals, sans grande personnalité, de ceux qu’on a bâtis en toute hâte dans les années 70, parce qu’il fallait bien les bâtir. Il y suinte aussi quelque chose que l’on pourrait qualifier d’ennui adolescent. Au centre, un grand rectangle de béton quadrillé de bancs dont on devine à peine le bois tant ils sont recouverts de signes tracés à la hâte. Et puis ça et là, ponctuant maladroitement l’espace, quelques arbustes chérifs qui auraient peut-être préféré pousser là-haut, dans les collines avoisinantes, tellement plus accueillantes.

Les élèves sont aussi là, arpentant le bitume et tirant fiévreusement sur leur mégot entre deux cours. Distraits et inquiets à la fois, plus préoccupés de leurs petites histoires quotidiennes que d’un avenir qu’ils ont tant de mal à identifier. Quant aux relations avec les enseignants, elles sont parfois tendues, car des deux côtés il n’est pas toujours question de s’écouter. Un état des lieux somme toute bien ordinaire dans un établissement secondaire.


Et puis voilà qu’arrive un jour un étranger, un artiste : il dit volontiers des choses décalées. Il fait paraît-il des sculptures, des installations, des œuvres in situ. Il dit vouloir comprendre ; on finit par lui dire certaines choses. Et lui, confronté à une forme d’incommunication  généralisée finit par qualifier nos salles de classe de lieux d’enfermement. Oui, oui, d’enfermement, le mot est fort mais c’est bien ce que nous pensons tous. C’est tellement difficile de parler avec les profs. De toute façon ils ne nous écoutent pas. A quoi cela sert-il d’aller à l’école ? On nous parle toujours de notre avenir, comme s’il n’y avait que cela dans la vie…


Le plasticien, lui, nous dit qu’alors on va travailler dans notre salle de classe, que c’est un lieu à investir, qu’on peut aussi en faire tout autre chose.
Et d’ailleurs si pour commencer nous enlevions toutes ces tables et toutes ces chaises bien alignées? Avec les profs il faut toujours que ce soit impeccable. On fait toujours trop de bruit, il faut toujours se taire et écouter le cours, prendre des notes. Lui, François MÉCHAIN, il a de drôles d’idées. Il nous dit que dans le cadre de son atelier on pourrait essayer de regarder le monde autrement, qu’on pourrait peut-être même faire changer des choses. Et pourquoi pas alors, par exemple, faire entrer le dehors dedans ? C’est tellement mieux dehors. Avec de vraies feuilles et de vrais arbres, enfin tout ce qui nous fait rêver du moment que c’est dehors. Il nous répète que tout est possible, surtout l’impossible, qu’on peut même y introduire des odeurs. On aura aussi le droit de s’asseoir tous par terre. Et le prof, lui, il faudra bien alors qu’il fasse comme nous.


Après une semaine de travail acharné, la salle de classe version artistique était prête. A la demande de l’équipe des artistes et de la direction du lycée, deux professeurs (mathématiques et philosophie) y dispensèrent leurs cours, assis à même le sol, au milieu des élèves.
On a appelé ce lieu la chambre d’écoute.