Archéologie

Forêt de Bastard, Pau, France, 2001.
En collaboration avec l’Office National des Forêts.

Une photographie noir & blanc sur dibond : 160 x 115 cm.
Sur papier affiche et en lettres rouges une liste de noms de pays ayant ou ayant eu
des problèmes de frontières : 160 x 115 cm.

In situ, sculpture pérenne, échantillons de toutes les essences de la forêt montés sur un axe métallique : 620 x 180 cm.

Moi qui me suis toujours intéressé à l’arbre voilà que l’occasion m’est enfin donnée de coopérer avec L’Office National des Forêts qui désire travailler avec un plasticien afin d’ouvrir cet organisme très spécialisé à des interrogations plus larges sur le monde. Je présente rapidement trois maquettes.

Sur la première je dessine une colonne couchée au sol de plusieurs mètres, faite de morceaux de bois glanés sur le site et associés à des longueurs de bois industrialisé (croquis N°1). J’y développe l’idée de rencontre entre un état où le naturel serait mis en évidence et un autre, postérieur et signifiant de l’activité humaine. Le bois industriel, même méconnaissable après maintes manipulations, a toujours en effet pour origine la forêt. On pourrait bien entendu aisément faire un parallèle avec la célèbre série des Alberi de Giuseppe PENONE.

Dans les second et troisième projets (croquis N°2 et N°3) je propose de choisir un site sur lequel le vent aurait fait tomber des arbres dans le désordre le plus apparent. A partir d’un point de vue – je ne peux renier ma formation de photographe – je fais à la tronçonneuse un cercle parfait, visible d’un point anamorphotique, une forme géométrique montrant la trace de l’activité humaine dans le chaos organique. Ce dessin à la tronçonneuse comme dirait le sculpteur David NASH, est un hommage aux forestiers dont le travail consiste à couper, à entretenir mais aussi à prévoir l’avenir, ce que peu de gens savent.

C’est pourtant un quatrième projet qui va voir le jour, plus lisible, tant pour mes commanditaires que pour moi-même. L’idée de colonne érigée n’est pas sans rappeler pour l’O.N.F. l’arbre lui-même, une sorte de sculpture-arbre qui s’intègre parmi les arbres.

Ma première visite du site renforce en moi l’idée que cette forêt est particulièrement composite. C’est le cas de toutes les forêts me direz-vous mais celle-ci, vu sa surface très restreinte, donne vraiment cette impression. On ne peut jamais avoir de vue d’ensemble de toutes les essences. Il y a toujours un arbre qui cache les autres. Où qu’on se place la vision globale est tout à fait impossible. Reste donc, sculpturalement parlant, à la cartographier autrement, à la résumer d’un seul coup d’œil, en faisant une sorte de sampling de toutes les essences côte à côte, peau à peau. Pour rompre enfin définitivement avec les habitudes je choisis de poser les racines au sommet de l’axe afin de semer un peu plus le doute. L’idéal serait que le promeneur s’arrête en effet, un peu éberlué, devant la sculpture en s’interrogeant sur son rapport à l’arbre, à la forêt, voire à la Nature.

Et puis il y a cet élargissement que je vois tout de suite possible. Dans mes discussions avec les forestiers j’ai souvent ainsi entendu parler de populations arboricoles, de peuplements. On dit des individus en évoquant les arbres. Je considère que les mots n’ont pas été inventés par hasard. Toujours polysémiques ils créent des liens auxquels on ne pense pas toujours. Cette forêt, de par sa localisation dans les faubourgs mêmes de la ville, fait vraiment partie de Pau. Certains habitants la fréquentent ainsi quotidiennement, viennent y marcher, y faire leur jogging, changer d’air sans aucun doute. Comment alors ne pas penser à cette cohabitation parfois si difficile des gens sur la planète ? Comme dans la forêt il est question de notre vivre ensemble peau à peau quand on n’appartient pas à la même espèce, lorsque l’on ne parle pas la même langue, lorsque l’on n’a pas la même culture, la même histoire. Comment alors, que l’on soit homme ou arbre se définir un territoire de vie, y être bien en respectant celui de l’Autre ? Dans la forêt on sait bien que certaines essences prennent le dessus sur d’autres, les écrasent et les éliminent.

D’où ma décision de présenter ensemble deux grands formats de mêmes dimensions, en diptyque. L’un photographique, noir et blanc comme j’en ai l’habitude depuis des années et qui est une prise de vue de la sculpture dans son contexte forestier, l’autre fait d’une accumulation de noms de pays du monde, côte à côte. Des noms de pays choisis parce qu’ils ont ou ont eu, à un moment ou un autre, des conflits de frontières. Des noms de pays écrits en lettres rouges, en lettres de sang.

F.M.