Traouiéro

(en langue bretonne : petite vallée)
Ploumanach, Bretagne, France, 1992

  • - Une photographie sur papier argentique noir & blanc marouflée, flèches noires et
    lettrage blanc : 150 x 120 cm (N° 1)
  • - Une photographie sur papier argentique noir & blanc encollée sur aluminium : 150 x 120 cm (N° 2)
  • - In situ, sculpture éphémère, châtaignier et cordes d’amarrage : 1200 x 900 x 510 cm

Hiver 1987. Une tempête d’une rare violence sévit sur le nord de la Bretagne. Les dégâts sont considérables. La flore et plus particulièrement les arbres garderont à tout jamais les traces de cet événement exceptionnel.

Printemps 1992. En résidence dans le site de Traouiero (le mot signifie petite vallée en langue bretonne) je remarque combien le vent, toujours présent à cet endroit, constitue, comme pour Machine végétale, sur le Mont Hubert, une des  données du site. La chose est bien banale. Une observation attentive des arbres me confirme ainsi combien 1987 dût être un moment rare. Plus question de vent du nord, de vent d’autan, de mistral ou d’alizés, il s’agit bien de tempête. Une tempête restée dans les annales, raconte-t-on. Et qui a partout  laissé  ses  marques  prouvant, une  fois n’est pas coutume, que  la nature n’avait pas pu, pas su s’adapter. L’arbre a beau être fait d’une matière, le bois, aux extraordinaires propriétés de flexibilité, chacun sait, comme il en est du bras ou de la jambe d’un homme qui se briserait en cas de geste inadapté, que la branche ploie sous la force du vent, résiste le plus souvent mais rompt en cas d’exception. Il y a des limites à tout.

N°1 – Traouiero versus photo.

Vent très violent. Prise de vue sur pied avec pose de plusieurs dizaines de secondes. Après tout le soixantième de seconde n’est qu’une convention. Sur l’image une partie très nette, le tronc. Il n’a, à aucun moment bougé. Il résiste aux bourrasques les plus violentes.

Des parties floues, matérialisées a posteriori par des flèches noires, indiquent les territoires de flexibilité, les possibilités de ploiement de chaque branche. Survivre pour un arbre suppose de pouvoir se maintenir dans l’espace de ces limites.

N° 2 – Traouiero versus sculpture.

A l’oreille et au toucher j’amène chaque branche à sa limite de rupture. Une fois déterminé, telle une photographie enregistrant une situation donnée, le territoire de flexibilité est bloqué en tension par une corde d’amarrage. Cartographie des données de vie de ce châtaignier donc mais aussi cartographie de mon propre territoire d’action. Car il pleut, comme souvent en ces régions. Les branches sont glissantes. Pris de vertige, la peur du vide s’installe soudain en moi. Je ne puis travailler plus haut. Et cet endroit, c’est là, sur les bords supérieurs de l’image, au niveau des derniers tenseurs.