Préambule :
Un premier regard sur le travail présenté ici pourrait laisser croire, qu’une fois encore, je suis resté fidèle à certain principe d’analyse et de réalisation depuis longtemps élaborés lors d’opérations antérieures, tant en France qu’à l’étranger. S’il perdure effectivement des constantes d’un travail à l’autre, renforçant par là même l’idée d’approche singulière à tout créateur, il convient pourtant de préciser combien furent ici prépondérantes les remarques de José Gomez de SOTO et de Jean François TOURNEPICHE. Archéologues (professionnels) de renom, l’un et l’autre privilégiant la recherche sur la région d’Angoulème, ils eurent en effet l'idée – mais c’était aussi là l’intérêt du propos fondateur – de m’inviter à radicalement changer mon champ d’analyse. Générant questions et réponses différentes, leur propos, loin de confirmer mes habitudes de pensée plasticiennes, m’obligèrent, bien au contraire, à aborder d’autres territoires, à en préciser les nouvelles frontières, interrogeant en particulier mon rapport à l’archéologique, un rapport dont j’ai pourtant aujourd’hui la faiblesse de croire qu’il fut, tel une sorte de mise au jour permanente, toujours présent sans le savoir dans mon travail de photographe, comme plus tard dans celui de sculpteur sur le terrain.

Approche du lieu d’intervention :
L’expérience m’a depuis longtemps appris que, loin de choisir le site sur lequel je vais travailler, c’est plutôt le site qui s’impose, qui décide chaque fois pour moi. Les critères y sont multiples et variés à la fois, mais deux restent toutefois incontournables : ce sont les donnés topologiques et la toponymie. Concernant les premières, je dirais qu’en tant qu’Européen, je me situe bien loin de l’approche démiurgique des pionniers du Land Art, américains particulièrement ; j’ai toujours, en effet, revendiqué un rapport humain, une sorte de rapport de mesure physique et technique juste, la recherche de l’osmose parfaite. Quant à la toponymie, j’ai depuis longtemps le sentiment que  l’appellation cadastrale d’un site figure une sorte de mémoire concentrée, une véritable stratification historique. L’homme en ayant généralement à peu près tout oublié, ma pratique de sculpteur consisterait alors à révéler métaphoriquement le visible et l’invisible présents. Dans le cas de La Vallée des Eaux Claires ces deux critères prévalurent, bien entendu, une fois encore. Cette appellation attira en effet mon attention lors d’un premier repérage sur carte. J’y retrouvai la sonorité poétique à laquelle je reste tellement sensible, accompagné des deux mots-clef, Vallée et Eaux Claires. En terme d’archéologie, le premier évoqua d’emblée pour moi l’idée de rapport privilégié entre les premiers habitants et leur lieu de vie ; je me le figurai territoire permettant abri et protection, j’y supputai l’osmose évoquée précédemment. Au travers des secondes, j’imaginai enfin l’idéal arcadien tel qu’on peut le voir chez POUSSIN ou Le LORRAIN, renouvelant par là même la perfection d’un accord supposé entre l’homme et son milieu naturel. Un repérage ultérieur sur le terrain me fit enfin découvrir que, dans une histoire plus récente, la qualité des eaux avait aussi permit l’implantation d’un moulin à papier artisanal.

Descriptif :
Le site de la Vallée des Eaux Claires s’étant définitivement imposé à moi et mon approche archéologique méthodiquement pointé, le temps vint alors de définir les outils plastiques susceptibles d’étayer mon propos. Des années durant, j’ai tenté en effet de bâtir une réflexion sur les rapports que peuvent entretenir l’être humain et le monde végétal qui l’entoure. Ne pouvant, une fois de plus, échapper à cette préoccupation vraiment existentielle, je sus rapidement que mon intervention lors de Site et Traces 2 ne faillirait pas à la règle : arbres, météorologie, enregistrement, site et relation au site seraient donc les ingrédients d’un cocktail d’où je devrai toutefois extraire une cohérence archéologique.

C’est alors que me revinrent en mémoire les propos de J-F. TOURNEPICHE m’expliquant que nos ancêtres avaient pour habitude d’utiliser des bois de pin pour dessiner sur les parois des cavernes, la présence de sève à l’intérieur des branches alimentant la combustion et les aidant grandement à demeurer allumées.

Sachant par ailleurs que je pourrai ainsi justifier l’appellation Eaux Claires, je proposai au Moulin du Verger, tout proche de mon site d’intervention de me fournir de grandes longueurs de papier de chiffon artisanal. Pendus dans le vide, le long des falaises calcaires, les rouleaux de papiers joueraient le rôle de pellicules photographique vierge ; les branches de pin misent au contact du papier, au gré des mouvements des arbres, jouant quant à elles celui de traceur de charbon de bois, relatant les mille et un petits événements de la vie du site. Je décidai par ailleurs de laisser le dispositif en place la majeure partie de l’été, imaginant à l’avance que ces rouleaux de papier blanc, donc immaculés sauraient enregistrer en mon absence les réactions d’un monde végétal soumis à la durée et à la loi d’une météorologie autoritaire. Des déchirures et variations colorées au décodage incertain, possible archéologie d’événements mineurs en temps et site déterminés, indices pourtant hautement révélateurs de cet esprit des lieux qui fait de tout territoire d’intervention, telle la vie humaine, un monde de complexités achevées dont les richesses ne sauraient être évaluées qu’à la lumière de longs et hypothétiques décryptages.

François MÉCHAIN, Mars 1995.